Par respect pour toutes les victimes de la sauvagerie des
Khmers Rouges, je n’ai pas inclus le récit de ces visites dans le cycle normal
de mes récits car ce ne sont pas des lieux « intéressants à voir »,
mais ce sont des lieux de pèlerinage, de recueillement à faire absolument en
mémoire des millions de victimes innocentes. Si les adultes étaient innocents,
il n’y avait pas plus innocents que les enfants et bébés qui y sont passés.
Comme les anciens camps de concentration nazis, ces lieux sont difficiles à
visiter. Il faut le faire absolument en écoutant les audio-guides car ils sont
très bien faits et on ne peut s’imprégner de l’ambiance et comprendre les lieux
qu’en les écoutant. On ne sort pas indifférent de ce parcours. Pour ne pas tout
mélanger, j’ai donc consacré une journée à ce pèlerinage.
Tuol Sleng, plus connu sous le nom de camp S-21 est un lycée
construit en 1962 avec l’aide de la France, transformé en prison secrète (S) la
plus terrifiante du Cambodge des Khmers Rouges entre 1975 et 1979. Près de 20 000
personnes dont 2000 enfants y sont passés subissant les pires tortures pour « avouer »
avant d’être exterminés à Choeung Ek.
Les gens qui vivaient autour ne savaient
pas ce qui s’y passait car le camp était entouré d’un no-man’s land clôturé d’une
haute palissade tôlée. La palissade existante n'était pas à son emplacement actuel, mais plus loin pour éloigner les curieux.
Ce ne fut pas le seul lieu de ce type, mais tristement
emblématique et aisément accessible car en ville, il a été conservé et
transformé en lieu de mémoire. C’était un centre de purge des propres cadres
des Khmers Rouges et des potentiels opposants au régime.
A la libération de la
ville, les soldats Vietnamiens qui ont découvert le camp ont retrouvé quatorze
cadavres et seuls douze prisonniers dont cinq enfants ont été retrouvés vivants.
Tous les autres avaient été emmenés et éliminés à Choeung Ek, les Killing
Fields.
Sous une chaleur étouffante, on parcourt les salles des
anciennes classes pour découvrir dans un style très simple et dépouillé les
conditions d’incarcération des victimes. C’est dans le premier bâtiment, le
bâtiment A que les prisonniers étaient torturés plusieurs heures d’affilées,
plusieurs fois par jour, de jour comme de nuit, jusqu’à ce qu’ils avouent leurs
« crimes ». Ils étaient maintenus en vie et ranimés pour arriver à
leur « confession ». S’ils venaient à décéder en cours de torture, c’était
un échec pour les bourreaux qui pouvaient alors en subir eux-mêmes les
conséquences. Les aveux étant faits et signés, l’issue était immanquablement l’extermination.
Ce camp était dirigé par le fameux Duch, ancien prof de maths qui avec sa
maniaquerie du travail bien fait, faisait tout consigner. Avant de quitter le
camp, les Khmers Rouges ont tenté de détruire les archives, mais il n’ont pas
réussi à tout éliminer, ce qui a permis d’identifier une partie des victimes
qui sont passées par ce camp.
Les quatorze victimes retrouvées ont été enterrées dans la
cour d’entrée, en souvenir de tous ceux qui sont passés par là,
et un mémorial
avec tous les noms des victimes a été érigé dans la seconde cour.
Un panneau d’une
clarté édifiante énumère les dix règlements en vigueur à l’époque.
Le portique de
gymnastique du lycée a été transformé en potence de torture.
Le bâtiment B a été transformé en mémorial avec ses panneaux
alignant à l’infini les photos des victimes. Les « suspects » étaient
photographiés dès leur arrivée. Arrêtés avec toute leur famille, on y trouve aussi les photos de tout
jeunes enfants.
Le bâtiment C a été conservé en l’état. Les balcons ont été
fermés par des grillages en fils de fer barbelés pour empêcher les suicides
et
les salles de classe on été partagées à la hâte en petites cellules par des
cloisons de brique
ou de bois.
Les prisonniers étant entravés par une barre
de fer fixée au sol, une simple boîte de
munition servant de pot de chambre.
Dans le bâtiment D, les cloisons ont été enlevées pour transformer
les salles en exposition où les instruments de torture sont exposés,
les photos
des survivants dont Vann Nath, un peintre qui a peint des tableaux montrant la vie des prisonniers et
les tortures.
Sur de grands panneaux
sont exposées les cartes montrant les migrations forcées, les sites de
massacres, des photos de la vie dans les campagnes et les villes désertées, les
destructions de bâtiments colonialistes, etc….
Aux étages suivants, des panneaux présentent
les principaux cadres responsables de ces massacres, des photos de quelques khmers
rouges pendant la période et maintenant après avoir retrouvé une vie normale
ainsi que leur témoignage.
Quand les prisonniers avaient avoué, les aveux étaient
présentés à Duch qui alors signait l’ordre d’exécution. Les prisonniers étaient
alors emmenés en camions bâchés vers « un autre camp » qui était en
fait Chuoeung Ek, le lieu d’exécution.
Situé à 15km à l’extérieur de la ville de Phnom Penh, ce lieu
a aussi été transformé en mémorial.
Ancien verger et ancien cimetière chinois dont on en voit
encore des restes. Il a été rendu célèbre par le film « la déchirure ».
Les Khmers Rouges y massacraient et enterraient leurs victimes. On a identifié
plus de 129 fosses communes, seules 90 ont été relevées permettant de retrouver
les os de près de 9000 personnes soit moins de la moitié du nombre de victimes
estimées. Lors du relevage, les restes on été étudiés par des médecins légistes
pour identifier les manières dont été exécutées les victimes.
Les balles
coûtant trop cher, elles ont été tuées à l’aide de barres de fer, de masses, de
hachoirs, de hache, de pioche
ou égorgée avec une branche de palmier…..
et le
plus horrible, les bébés étaient fracassés contre un arbre devant leur mère
avant leur exécution. Cet arbre, le « Killing Tree » est couvert de
petits bracelets de couleurs.
Là aussi, il est indispensable de prendre l’audio-guide,
très bien fait pour bien s’imprégner de l’ambiance du lieu et de se recueillir.
Le parcours débute par le lieu de débarquement des camions, puis le lieu d’attente
avant exécution, le bureau des exécuteurs, le stockage des matériels et des
produits
puis il se poursuit par la zone des fosses communes.
Une fosse a été découverte avec des corps sans tête, ce sont
des Khmers Rouges ayant fait l’objet de purges et accusés d’être des espions à
la solde des vietnamiens : « tête de viets, corps de cambodgiens ».
Un étang paisible n’est en fait qu’une immense fosse dans laquelle reposent
encore des milliers de victimes. Ils ont arrêté de relever les restes et les
laissent en place car il n’y a plus de place
dans le mémorial qui a été construit.
Des passerelles ont été construites pour
éviter de marcher sur des restes humains car régulièrement, surtout à la saison
des pluies,
des morceaux de vêtements ou des os remontent à la surface.
Les
gardiens font régulièrement le tour du site pour les ramasser et les mettre
dans des urnes. On y voit entre autre des vêtements d’enfants….
Vers la fin du
parcours, on voit l’arbre « magique », un arbre où des haut-parleurs
étaient accrochés diffusant des chants révolutionnaires pour couvrir les cris
des victimes.
Puis on passe par le mémorial en forme de
stupa ou l’on peut se recueillir
et dans lequel dans des vitrines sont entassés
des milliers de crânes sur lesquels sont identifiés les modes d’exécution. En-dessous,
un tas de guenilles retrouvées lors des relevages.
En toute fin de parcours, un petit musée présente le Kampuchéa
Démocratique et ses dirigeants dont certains sont encore en procès, quelques
uniformes et des fiches signalétiques de prisonniers.
J’ai appris par ailleurs que les procès s’éternisent parce
que certains dirigeants actuels, dont Hun Sen, sont impliqués, mais surtout, le
Vietnam est impliqué. En effet, les Khmers Rouges avaient été formés par les Communistes
Vietnamiens avec comme but de décapiter le pays afin de pouvoir le coloniser et
créer une grande entité sous leur coupe. Quand Pol Pot a été arrêté, il a été
mis en accusation par ses anciens compagnons. Mis en résidence surveillée, il
meurt curieusement et est incinéré avant de pouvoir révéler des vérités. Les
Vietnamiens ont libéré le Cambodge car ils ne maîtrisaient plus les Khmers
Rouges, mais après onze ans de présence pendant lesquels ils ont pillés les
richesses du pays, ils continuent à le diriger en sous-main, verrouillant le
gouvernement et les postes clés.
Le gouvernement actuel, apparemment démocratique est en fait
une dictature communiste déguisée et l’opposition est difficile et dangereuse.
L’opposition actuelle a dû se résoudre à émigrer.
J’ai assisté à des défilés en
vue d’élections municipales à Kampong Cham dont le maire et gouverneur n’est autre
que le propre frère de Hun Sen. Très curieusement, le défilé de l’opposition
était exsangue mais très motivé, les opposants n’osant pas défiler par peur de
représailles à posteriori, quant au défilé du parti au pouvoir, il y avait une
foule immense, mais avec des têtes de cent pieds de long, des gens semblant s’em…
souverainement, non motivés.
Ce sont parfois des membres de l’opposition qui en
font partie, car s’ils n’y allaient pas, ils feraient l’objet de représailles
par la suite. D’autre part, les participants du défilé sont payés et le carburant
de leur véhicule est payé, car ces défilés se font en moto ou voiture. Rien qu’à
voir la tête de ces gens, ont sent tout de suite que quelque chose ne tourne
pas rond. Les premiers sont soutenus et encouragés par les passants, les
seconds passent dans l’indifférence la plus totale.
Album photos du S-21 et du Killing Fields:
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