Arrivés à 7h30 à l'aéroport domestique de Kathmandou, nous attendrons 10H30 pour faire les quarante minutes de vol qui nous séparent de Lukla et de la région des trekks de l'Everest. A l'aéroport, c'est un peu la foire à neu-neu, le contrôle de
sécurité est assez rudimentaire et le hall d'attente ressemble à une gare de province du milieu du siècle dernier. Quand notre tour d'embarquer arrive, nous rejoignons l'aire d'embarquement par minibus tractant un chariot de gare chargé des
bagages. Pendant que les revenants descendent de l'avion, que nous y montons et que l'échange des bagages est effectué, les pilotes se font servir le thé au lait traditionnel au "tea-room de la compagnie", soit sous l'aile de l'avion pendant que les mécanos font un tour de vérification du zinc. Cela me rappelle un peu l'ambiance des aires d'embarquement avant les sauts en parachute. Enfin, le décollage a lieu. Ayant suivi les conseils de Sonam, je suis à l'avant gauche, ce qui me permet d'avoir une vue sur les montagnes. Et nous voilà enfin en pays Sherpa.
Sherpa est à la fois un nom de peuple, un nom de famille et un nom de métier. Les Sherpas sont les habitants des vallées du Solu Khumbu au pied de l'Everest. Ce sont des pasteurs nomades de l'est du Tibet arrivés dans ces vallées il y a 500 ans environ. Comme ils viennent tous de la même région, ils portent presque tous le nom de Sherpa comme mon guide, Sonam Tshering Sherpa. Cela désigne aussi le nom du métier qui à tord est assimilé par les européens aux porteurs. Les Sherpas ne sont pas des porteurs, ce sont soit des guides, soit des assistants guide. Ils conduisent aussi des troupeaux de boeufs ou de Yacks pour le transport des marchandises. C'est un peuple de montagnards fiers et rudes à la tâche. Ils accueillent très chaleureusement l'étranger et des liens d'amitié se nouent très facilement avec eux. Il y a des Sherpas porteurs, mais la plupart des porteurs sont des habitants des vallées plus basses qui viennent offrir leurs services ne trouvant pas d'autre emploi.
Comme il n'y a aucune route, aucun chemin carrossable dans la montagne, tout est transporté à dos d'homme ou de boeuf sur les chemins au profils très cahotiques. Relativement bien entretenus sur les portions très fréquentées, les chemins deviennent de simples sentiers dans le reste de la montagne. Ils peuvent être de longs rubans réguliers de terre battue par les millions de pieds des autochtones et des trekkers, ou des chemins empierrés devenant souvent des escaliers aux marches irrégulières allant de 10 cm à 40 cm de haut, de plus d'un mètre à 20 cm de profondeur.
Sur la portion Lukla Namche Bazaar, c'est une véritable autoroute car c'est le seul couloir d'accés à la région du Sagarmatha National Park qui se divise ensuite en plusieurs vallées après le goulot d'étranglement au pied de Namche Bazaar. De longues files de trekkeurs venus de tous les coins du monde se mèlent aux files de porteurs, de locaux ou de troupeaux de boeufs porte-faix. Ces files croisent d'autres files redescendant vers la vallée ou vers Lukla.
Lukla est un point stratégique de la vallée car c'est le dernier aérodrome desservi par des petits avions de seize places venant de Kathmandou. Une partie des marchandises et quelques trekkeurs arrivent du bas de la vallée à pied, mais la majorité du trafic arrive par avion jusqu'à Lukla. A 2840 m d'altitude, la piste, très courte, à pente de 15% environ est face à la montagne. Le matin, c'est un ballet incessant d'avions arrivant de Kathmandou et repartant. A l'arrivée, les pilotes chevronnés réussissent à arrêter leur Zinc avant le mur de bout de piste et prendre le virage d'accès au parking, et au départ à l'arracher de la piste avant qu'il ne plonge dans le vide. Ce ballet est impressionnant à voir, les zincs moteurs hurlants à l'arrivée pour arrêter l'avion, ou hurlants encore au départ au moment de plonger sur la piste en pente afin de l'arracher du sol avant le grand vide.
Pendant tout le trekk, je serai surpris par les charges que portent les porteurs. Cela va de 60 kilos à plus de 120kg. Sonam a même vu un jour un porteur avec une charge de 160 kg! Ce sont de hommes de petite taille, menus, secs, noueux, souvent mal habillés et mal chaussés. ils sont souvent chaussés de mauvaises claquettes en plastiques, mais ils trottent aussi vite, voir plus vite que nous avec nos sacs allégés. J'en ai vu un porter 120l de fuel, un autre 32m de tubes acier de diamètre 50, plusieurs 16 à 20 panneaux de contreplaqué de 10mm de 2,50m x 1m. Sonam reconnaît lui-même que les charges sont énormes. Nous avons vu un porteur qui devait avoir pas loin de 70 ans. Autres types de charges impressionnantes: des piles d'oeufs. Ce n'est peut-être pas très lourd, mais bonjour l'omelette en cas de chute!
Au cours de ce premier trajet, je découvre de nombreux rochers gravés et peints de mantras qui sont autant de prières, ou peints de figures allégoriques. Nous en verrons beaucoup tout le long du trekk, jusque dans les plus hautes altitudes. Ce sont parfois des empilements de tablettes en pierre gravés de mantras ou de figures de dieux. Par endroit, des rouleaux à prière sont postés à la disposition des passants, d'autres sont mûs par les eaux des torrents. De temps en temps, des stupas,
des petits temples, des mémorials jalonnent le chemin. A chaque fois, nous en faisons le tour par la gauche.
Nous traverserons des villages, gentiment accueillis par les "namasté" des enfants aux joues rebondies et tânées par le soleil et le froid. Nous assistons à quelques scènes de la vie domestique du pays: pilage du grain, vente de viande descendant de la montagne à dos d'homme, bouses de vache ou de yaks applaties et séchant sur les rochers ou collées sur les murs en vue d'être utilisées comme combustible de chauffage ... Enfin, nous traversons à plusieurs reprises des cours d'eau sur des ponts de cables et caillebotis. Il ne faut pas avoir le vertige! De nombreuses banderolles de lungtas (drapeaux de prières) flottent au vent et égaient ce paysage.
Après trois heures de marche, nous arrivons à Phakding où nous passerons notre première nuit en lodge. Sonam s'est arrangé pour que j'ai une chambre avec cabinet de toilette et douche. Malheureusement, elle est froide (moins de 10°C!). Au cours de tout le trekk, Sonam s'est toujours arrangé pour que nous soyons "confortablement" installés et que nous ayons suffisamment de couvertures. A chaque fois, j'ai proposé à Sonam de profiter de la deuxième couchette, mais la plupart du temps, il allait dormir dans la salle commune avec les autres guides, ce qui fait que je récupérais le deuxième matelas. En effet, les lits sont de simples planches avec un matelas mousse de 3 à 5 cm d'épaisseur. Une fois, il faisait 8 cm, exceptionnel!
Les chambres des lodges sont souvent de simples cabines séparées les une des autres par une simple cloison de contreplaqué. Ces chambres ne sont pas chauffées, ni isolées. En fonction de l'altitude, il y fait de froid à très froid. Je n'avais pas de thermomètre, mais vu le givre sur les vitres le matin, et d'après Sonam, il devait faire de 0°C à - 10°C dans la chambre, voire peut-être moins. Les seules pièces qui sont chauffées sont la cuisine et la salle commune où un poêle en fonte trône au centre. Ce poêle a été, comme le reste, ammené à dos d'homme jusque là. Le feu n'est allumé que le soir, après le coucher du soleil. Il fonctionne au petit bois pour l'allumage, puis à la bouse de vache ou de yack séchée. Quand il n'y a pas de retour de flamme et donc de fumées, cela va, mais quand il y en a, une fumée âcre se répand dans la pièce.
Les menus sont à peu près tous les mêmes dans les différents lodges, ce sont des repas à base de riz dont le fameux Dal Bath, de pâtes, de pommes de terre (très bonnes!), de légumes (végétables), de pizzas. Je n'ai eu aucun problèmes intestinaux et j'alternais mes choix entre les pâtes pour l'énergie, le riz pour réguler et le reste pour varier. Pour éviter le mal des montagnes, Sonam m'avait conseillé le remède naturel et local: la "garlic soup", la soupe à l'ail. Tous les soirs de montée, j'en prenais donc un bol. C'est très bon, sauf une fois où c'était si épicé que je n'ai pas pu la boire. Sonam me l'a fait remplacer. Comme boisson, l'eau n'étant pas potable et que les consignes sont de beaucoup boire pour éviter le mal des montagnes (3 à 4 litres par jour), j'ai bu beaucoup de thé, environ 2 litres par jour!
A la nuit tombante, les nuages sont arrivés amenant froid et humidité, mais au petit matin, ils avaient tous disparus. Cela a été le cas chaque jour, nous avons eu un temps magnifique durant tout le périple. Il faisait si beau dans la journée que jusqu'à 4000m d'altitude environ, je marchais avec seulement un tee-shirt sur le dos. Au-delà de 4000m, je me suis peu à peu couvert car les températures étaient plus basses. Par contre quand le soleil se couchait, là il fallait sortir la polaire, voire la doudoune.
Le lendemain matin, nous repartons sur les coups de huit heures. Au cours de la matinée, nous atteignons l'entrée du parc national où nous devons nous acquitter d'un droit d'entrée de 1000 roupies. A midi nous faisons halte dans un lodge pour
manger un peu. La plupart des lodges sont construits en pierres de taille. Ces pierres sont si ajustées que je crois qu'elles sont taillées à la scie mais Sonam me démentit en me disant qu'elle sont taillées au burin et qu'il faut une journée pour tailler une pierre.
Après avoir repris le chemin, nous commençons à monter car nous devons monter 1000m environ pour atteindre Namche Bazaar. En chemin, nous croisons de temps en temps des troupeaux de boeufs aux cornes impressionnantes et superbes. Sonam qui a conduit des yacks pendant quelques années s'en méfie car il a déjà vu un boeuf ou un yack embrocher un passant au niveau de la cuisse. A chaque croisement il se gare et me fait garer côté montagne pour ne pas être projeté dans le vide par une bête. Il faut dire que le vide est parfois assez abrupte, une chute serait certainement fatale. C'est impressionnant de voir ces boeufs monter ou descendre les escaliers avec leur charge.
Au cours de ce premier tronçon de trekk, je découvre des paysages splendides et m'en remplit les yeux. Chaque tronçon aura ses paysages grandioses et magnifiques, je me régale. Le temps est si beau, l'air si pur que l'on a l'impression de pouvoir toucher les montagnes en tendant la main.
En arrivant à Namche Bazaar au bout de cinq heures de marche, à 3440m d'altitude, on a la surprise de découvrir un billard dans une petite maison au bord du chemin. Dire qu'il a été monté là à dos d'homme en pièce détachées puis remonté! Surprenant! Nous atteignons le lodge qui fait aussi musée. Une exposition de photos y présente la vie locale. Sonam a la surprise d'y découvrir une photo de sa mère, de sa grand-mère et de sa soeur prise il y a vingt-deux ans, peu avant la mort de son père. Au retour du trekk, passant par ce lodge, j'ai obtenu auprès du patron du lodge l'adresse du photographe (Suisse). J'essaierai d'en avoir des originaux pour Sonam et sa famille.
Une maison sherpa typique jouxte le lodge et sert de musée. Je la visite avec Sonam qui m'en explique les détails. Au rez de chaussée, on trouve l'étable et le stock de bouses de vaches ou de yack séchées. A l'étage, nous débouchons dans la cuisine disposée autour du foyer ouvert sous une hotte, les ustensiles en bois ou en cuivre rangés dans les rayons périphériques. La seconde pièce, très décorée, sert à la fois de salle de prière, de salle de réception et de chambre à coucher. A la périphérie, sur trois côtés, des banquettes couvertes de tapis servent de bancs et de couchettes. Elles font face à des tables traditionnelles sans vis à vis sur lesquelles quelques instruments de musique rituels sont disposés. Dans le quatrième
mur, un buffet vitré sert d'autel où les statuettes de dieux sont entourées d'objets de culte.
La douche de ce lodge étant chaude et normale, j'en profite car les douches froides ne sont pas mon fort. La chambre n'est pas trop froide et je passe une bonne nuit. Le lendemain matin, nous bénéficions d'une vue splendide sur la montagne enneigée en face.
Aujourd'hui première journée d'acclimatation. Nous restons tranquilles le matin. Namche Bazaar est construit dans un cirque au bord d'un plateau, nous allons faire un tour au point de vue qui domine le village. De ce point, nous avons une première
vue sur l'Everest. Le temps est si clair et pur qu'il ne paraît pas loin. Tout autour de nous des sommets dont certains enneigés, d'autres arides et très découpés. La vue est splendide. Je fais ensuite le tour du petit musée qui se trouve là. Puis, nous descendons faire le tour du village. Sur une place se tient un marché de tibétains venus à travers la montagne en plusieurs jours avec leurs yacks, chargés essentiellement de vêtements de qualité chinoise. A midi nous mangeons dans une petite échoppe typique sherpa. L'après-midi, nous reprenons nos sacs pour monter à Khumjung, le village de Sonam qui est 340 m plus haut mais où il y a moins de touristes. Nous l'atteindrons 2h30 plus tard.
lundi 16 novembre 2009
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