Quand nous sommes arrivés au lodge, il était déjà bien rempli et la chambre qui m'est donnée se trouve au fond du couloir, fenêtre au nord. Un groupe de français occupe la plupart des chambres. Je fais connaissance avec l'un d'eux et j'apprends
qu'ils redescendent sur Tengboche car il y a le festival des Sherpas. J'en parle à Sonam qui me confirme et m'explique que cela consiste en danses rituelles toute la journée, danses effectuées en costumes traditionnels par les moines du monastère. La nuit, la cour du monastère est occupée par les Sherpas qui chantent et dansent des danses folkloriques. Intéressé, je demande à Sonam si l'on ne peut pas modifier le programme: au lieu de passer le Chola Pass qui semble risqué à cause de la glace, aller à Tengboche et remonter ensuite à Lobuche. Sonam accepte volontiers d'autant qu'il y a longtemps qu'il n'est pas allé au festival et qu'il aime bien y participer.
Pendant la nuit, il fait assez froid et au matin, la fenêtre est couverte de givre. Afin de récupérer de la journée précédente, nous restons tranquilles pendant la journée. Le matin, après le lever du soleil, je profite de la chaleur de ses rayons pour faire ma toilette et me raser. Il y a possibilité de prendre une douche chaude, mais quand je vois l'installation, j'y renonce pour l'instant. C'est une petite baraque en tôle ondulée sur le toit de laquelle un petit bidon est rempli d'eau chaude. Une bâche sert de bac à douche. La tôle étant encore gelée, j'aviserai plus tard. Je profite aussi du soleil pour faire un peu de lessive: tee-shirt, chaussettes, mouchoirs... Pas grand chose mais il faut quand même y penser sinon je risque d'être à court. Sonam me ramène de l'eau chaude de la cuisine et je lave. Pour faire sécher le linge, je le mets sur un fil tendu. Si les rayons du soleil sont chauds, l'air est plutôt frais et le vent bien froid. Une heure après avoir étendu mon linge, je vais voir comment il est: raide! Le vent a enlevé une partie de l'humidité, mais le froid a gelé le reste. Ayant changé de chambre et celle-ci ayant la fenêtre à l'ouest, j'étends mon linge derrière la vitre. La chaleur des rayons permet au linge de sécher.
Le matin, Sonam me demande si je n'ai pas des médicaments, son cousin a dû manger quelque chose qui ne lui a pas convenu, il a vomi plusieurs fois dans la nuit. Il a mal à la tête et au ventre. Je lui donne du paracetamol et de l'Imodium en lui disant que c'est plutôt pour les intestins. Il semble que cela lui ai fait de l'effet car son état s'est amélioré et le lendemain cela allait mieux. Pendant la matinée, les allemands que nous avions croisés au Renjo Pass viennent s'installer
dans le même lodge. Au repas de midi nous faisons un peu plus connaissance et c'est ainsi que j'apprends que la veille, l'une des femmes avait le mal des montagnes. Ils étaient montés trop vite depuis Namche, ils n'avaient pas fait de palier
d'acclimatation. D'avoir redescendu, cela allait mieux. Ils ont decidé de rester une journée au repos.
Dans l'après-midi, nous montons sur la moraine qui sépare Gokyo du glacier qui est derrière. La vue sur le glacier est interessante. On ne voit pas beaucoup la glace car elle est couverte par les éboulis, mais de place en place elle est visible. Le glacier fait plusieurs kilomètres de long et à peu près un kilomètre de large. Nous remontons un peu la moraine jusqu'au quatrième lac et nous redescendons. L'allemande nous a accompagnés. A l'ombre, il fait assez froid, l'eau des torrents est partiellement gelée. Au cours de la soirée, après le coucher de soleil sur le Cho Oyu, nous faisons plus ample connaissance et je fais aussi connaissance avec un touriste français, Jean, photographe de profession qui entre deux crises de son cancer (du sang) en profite pour parcourir le monde. Dans cinq ans, il ne sera peut-être plus là. Quand je leur explique mon programme, ils sont tous intéressés et me demande s'ils peuvent se joindre à nous. J'approuve bien sûr, c'est plus sympathique.
Le lendemain matin, réveil à 3h00 et départ à 3h30 après une tasse de thé. Nous montons tous au sommet du Gokyo Ri, un pic qui domine le lac et du haut duquel nous allons assister au lever du soleil. Nous avons une chance fantastique, il fait un temps superbe, pas un nuage, pas une brume et une lune brillante: c'est la pleine lune. Après avoir traversé le torrent en sautant de pierre en pierre, nous entamons l'ascension à la lampe électrique, à pas de sénateur: un pas j'inspire, un pas je souffle, car la pente est tout de suite raide. Le temps est si clair que la vue est déjà superbe. Les montagnes se découpent en ombres chinoises sur le ciel. Peu à peu, le rythme ralentit, un pied j'inspire, un pied je souffle. Au bout de deux heures trente d'ascension, nous arrivons au sommet à petit pas: un demi-pied j'inspire, un demi-pied je souffle... 5360m, mon nouveau record! C'est l'aube et déjà le ciel pâlit à l'est. La lune est toujours là, la vallée est dans l'obscutité. C'est grandiose! Il fait très froid, -15 ou -20°C mais c'est splendide! L'air est si pur si clair que les montagnes semblent très proches. Sur 360° nous avons un spectacle unique. Pas un nuage, un ciel d'un bleu profond, des montagnes de dentelle. Nous restons là une heure environ pour assister à l'arrivée majestueuse du roi soleil qui de ses rayons colorés va peu à peu embraser les sommets avoisinnants.
Au début nous n'étions qu'une quinzaine, mais peu à peu, les gens vont arriver et envahir le sommet. Quand le clou du spectacle est passé, nous redescendons sur Gokyo, abandonnant le sommet aux autres touristes. Ils ne savent pas ce qu'ils ont manqué. Le lever du soleil est bien plus beau que la vue de jour. Le sommet du mont est comme beaucoup de sites dans l'Himalaya, des caerns servant de mémorial, des lungtas flottant au vent, des foulards soyeux. Cela donne un air particulier, vivant. Pour les sherpas, cela signifie que les esprits habitent ce lieu. Sonam profite de quelques instant pour méditer face à l'Everest.
En une heure nous voilà de retour au lodge. Nous prenons un petit déjeuner, bouclons nos sacs et reprenons la route en direction de la vallée. Nous longeons le deuxième lac au bord duquel de nombreux caerns sont disposés. Sonam m'explique que c'est un lieu de pélérinage local. Ces caerns sont levés par les pélerins lors des cérémonies en juillet. Jean est parti en avant avec son guide, il va essayer de réserver des chambres à Phortsee pour tout le monde. Les allemands nous accompagnent.
Pendant un temps, nous suivons le chemin qui vient de Namche. Il y a plus de monde que lors de la montée après Thame. C'est une voie assez fréquentée. Au bout d'un moment, nous quittons ce chemin, nous descendons et traversons le torrent pour passer sur l'autre versant. Là, les rencontres deviennent plus rares, les pistes sont un moment difficiles à deviner dans les broussailles. Puis les pentes deviennent de plus en plus raides. Il ne faut pas avoir le vertige. A un moment, le guide des allemands manque de perdre son fardeau. Il aurait eu beaucoup de mal à le récupérer! Le précipice fait plusieurs centaines de mètres.
Tout d'un coup, au détour d'un chemin, un lodge se dresse et nous accueille pour une tasse de thé. Les gens qui sont là sont très isolés. Le village le plus proche est à plusieurs heures de marche. C'est notre jour de chance, nous croisons aussi quelques animaux sauvages: des perdrix des montagnes, un bouquetin majestueux qui traverse le chemin à quelques dizaines de mètres de nous, d'après Sonam, c'est le met de choix du Yéti. Peu avant Phortsee nous apercevons le fameux "National Bird", l'oiseau emblématique du Népal, un genre de paon à queue courte, de la catégorie des faisans au plumage très coloré, appelé Daphné ou lophophorus. Nous verrons aussi deux femelles au plumage gris et enfin, une biche dans les bois avant d'arriver.
En arrivant au lodge prévu, il n'y a plus de place. Nous nous rabattons alors sur un autre lodge, très récent. Après s'être installés, nous avisons la "hot shower". Super, nous allons enfin pouvoir prendre une douche. En fait de douche, c'est une petite pièce en plein air, fermée par des tôles ondulées, sol en béton légèrement incurvé avec un tuyau d'évacuation. On m'apporte un seau d'eau chaude, très chaude, avec un pichet! On plonge le pichet dans le seau et on s'arrose avec l'eau brûlante. Cela fait du bien, mais on ne s'éternise pas... dehors il fait en-dessous de zéro, maintenant que le soleil est couché.
Après une bonne nuit, moins fraîche qu'à Gokyo (nous sommes à 3810m), nous reprenons les sacs pour rejoindre Tengboche de l'autre côté de la vallée. En une heure et demie, nous redescendons 400m et remontons 400m. Nous aurons la chance de croiser un troupeaux de chèvres sauvages des montagnes. Comme Sonam est parti devant pour essayer de trouver un lodge pour la nuit, il m'a laissé une partie de mon barda. Je sens que ce matin mon sac est plus lourd que d'habitude. Je me rends compte combien Sonam m'a soulagé auparavant. Peu avant Tengboche, Sonam nous rejoint et me prend mon sac, il a laissé le sien au lodge. Il me laisse au monastère pendant qu'il emmène les allemands au point d'hébergement une demie-heure plus loin. Comme il fait beau, je n'ai gardé avec moi que ma polaire et mon blouson coupe-vent.
Je fais le tour du site et quelques photos. Ce monastère date de 1916, mais depuis 350 ans, les moines savaient que là il y aurait un monastère, car c'est un lieu sacré. Il a été détruit deux fois et à chaque fois reconstruit plus beau. Il abrite une soixantaine de moines et moinillons. La vue avec la montagne en arrière plan est superbe. Quand les cérémonies commencent, vers 8h30, j'entre dans le monastère pour assister aux danses. Restant près de l'entrée pour guetter l'arrivée de Sonam, je suis à l'ombre et très rapidement je ressens le froid. J'ai hâte que Sonam arrive et m'indique le lieu du gîte pour aller y rechercher ma doudoune. Mais c'est sans compter sur la prévenance de Sonam. En effet, quand il arrive et que je lui demande comment aller au lodge, il me sort ma doudoune qu'il a pris dans mon sac, ainsi que mes gants fourrés. Ah! je l'ai béni à ce moment là car j'étais déjà presque congelé.
Les danses Mani Rimbu vont durer sans interruption jusqu'à la tombée de la nuit. A part deux intermèdes au cours desquels nous sommes allés manger et nous avons fait une visite à l'eco-center, un centre d'accueil et d'information des touristes, j'ai assisté à toutes les danses. Sonam m'a expliqué un peu le principe. Les danses sont toujours un peu pareil, la musique aussi, mais les costumes changent. Les danses sont l'animation de livres de prières où il est question de dieux, de démons, de gardiens, etc.... Les chants et la musique rythment les pas. La musique est faite à partir de grandes trompes, de cymbales, de clochettes, de tambourins, de genres de flûtes à bec. Au cours de la journée, il y a deux intermèdes comiques où des moines miment les manies des touristes: ils se moquent gentiment de nous avec nos appareils de photo, nos chapeaux, nos sacs à dos et nos gros souliers. A un moment, ils invitent une touriste américaine à se joindre à eux, elle joue le jeu mais en fait un peu trop et ne se rend pas compte qu'elle se ridiculise.
Les cérémonies sont présidées par le leader master du monastère, le head lama, Rinpoche. Il est la réincarnation du Lama Gulu qui a fondé le monastère. Sonam m'explique le principe des réincarnations. Avant de mourir, un lama fait un genre de testament où il décrit où et comment il se réincarnera. Après sa mort, les moines recherche l'enfant qui est préssenti pour être la réincarnation. Quand il l'ont trouvé, il le mettent à l'épreuve en lui présentant divers objets en plusieurs exemplaires identiques dont ceux ayant appartenu au lama décédé. S'il est la réincarnation, il choisit sans hésiter les objets ayant appartenu au moine décédé.
Le spectacle est aussi bien sur l'esplanade que dans le public, il y a des visages très caractéristiques et les photographes s'en donnent à coeur joie. A la nuit tombée, nous rejoignons le lodge où nous mangeons et nous changeons car il fait froid, puis nous rejoignons le monastère à la lampe électrique. Là, les hommes et les femmes sherpas forment une farandole, les femmes d'un côté, les hommes de l'autre. Ils chantent et dansent des complaintes traditionnelles. Le pas est toujours le même. Sonam se joint à la farandole et danse avec les autres. Quelques touristes se mèlent aux danseurs et essayent le pas. Ce n'est pas évident car il n'est pas aussi simple qu'il ne paraît, il est complexe et disymétrique. Au bout d'un moment, je me retire pour aller me coucher. Sonam m'accompagne jusqu'au début du chemin que je ne me trompe pas, puis retourne danser. Il dansera jusqu'à une heure du matin.
La nuit sera très fraîche, d'autant que je n'ai pas pu avoir de couverture, il n'y en avait plus. Je me suis donc débrouillé avec mon sac de couchage, ma doudoune et ma polaire. Au matin, la vitre de la fenêtre était toute givrée. J'ai partagé la chambre avec l'allemand.
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