dimanche 22 novembre 2009

Khumjung, Thame, Langden, Renjo Pass, Gokyo

En début d'après-midi, nous quittons donc le lodge de Namche Bazaar et attaquons tout de suite la pente. Je commence a sentir l'effet de l'altitude, je manque de souffle. Je prends donc un pas lent et régulier. La veille déjà, en arrivant vers Namche, j'avais commencé à sentir l'effet de raréfaction de l'oxygène. Mais le fait de rester trois jours à peu près à la même altitude fera que je le sentirai moins au bout de quarante huit heures. Je prends donc un pas de sénateur pour monter le raidillon. Un pas j'inspire, un pas je souffle. je prends bien le rythme et peu à peu nous nous élevons. Très rapidement nous dominons le village de Namche et nous atteignons le petit aérodromme en terre battue de Namche. Seuls les petits avions de 6 places maximum peuvent l'atteindre. Il sert pour les expéditions et les évacuations sanitaires.

Nous atteignons enfin Khumjung et Sonam est tout fier de me faire passer sous la porte d'entrée de son village. Nous longeons ensuite l'école: l'Hillary School. Sir Edmund Hillary est le premier homme ayant atteint le sommet de l'Everest. En 1953, lors de son expédition, il a découvert la pauvreté du peuple Sherpa. S'étant pris
d'affection pour ces montagnards rudes, courageux et attachants, il a créé une fondation et a ouvert des écoles dans presque tous les villages, installé des dispensaires, réalisé le terrain d'aviation de Lukla, etc.... Ce monsieur s'est beaucoup dépensé pour aider le peuple Sherpa, et il est donc un peu considéré comme le Bon Dieu dans la région.

Le lodge où nous nous installons est dans le haut du village. Nous sommes les seuls clients le premier soir, le lendemain, un japonais nous rejoindra. Les hôtes sont de la famille de Sonam, la grand-mère est sa tante. Sa petite-fille qui tient le lodge est une jolie jeune femme aux traits très fins qu'illumine un beau sourire, Kanshi. Un gamin de quatorze ans, mais en paraissant douze tellement il est petit et menu, est employé aux travaux divers. Il va collecter les bouses de Yack pour les faire sécher et soit les stocker, soit les vendre. Il fait aussi la collecte des feuilles mortes qui serviront à la litière des boeufs, enfin, il fait la vaisselle et tous les menus travaux du lodge. Il gagne 10€ par mois. Enfin, un gamin de dix ans et un de douze ans, neveux de la jeune femme complètent le tableau. L'air étant vif, les gamins ont les joues rouges, presque noires. Sonam m'a raconté comment lui aussi, la nuit il allait vers minuit rassembler les feuilles mortes à la lampe électrique dans la montagne, puis au petit matin il revenait les ramasser et les rentrer.

Le lendemain, journée d'acclimatation, nous faisons un tour pour visiter le coin. Khumjung est en fait un groupement de deux villages: Khumjung et Khunde, le village de Sonam. Ils sont construits dans un petit cirque au pied du Khumbi Yul Lha (5761m), montagne inviolée considérée comme sacrée. Seul un japonais a essayé de la gravir, il en est mort. Nous suivons la crête opposée, elle domine les vallées au pied de Namche. Les vues sur les montagnes sont bien sûr magnifiques. Nous passons par deux hôtels qui profitent de leur situation pour pratiquer des prix assez élevés. Au passage, Sonam me montre un rocher particulier: on a l'impression qu'il a été cuit, il présente une croute craquelée de quelques centimètres d'épaisseur et une partie est profondément érodée, formant une cavité à forme spéciale. Il m'explique qu'il y a très longtemps, un moine est venu méditer à cet endroit. C'est la puissance de sa méditation qui a laissé des traces dans le rocher. C'est un lieu de vénération pour les habitants du village.

En redescendant, nous passons par le monastère de Khumjung. Ils ont là le scalp d'un Yéti! Les analyses biologiques certifie l'authenticité de ce scalp. Le Yéti serait un humanoïde de grande taille que personne n'aurait vu. Seuls quelques anciens auraient vu des traces dans la neige en haute altitude. J'ai pu voir le scalp
et le photographier.

Le soir coucher de soleil sur le Kangtega (6685m) en face du lodge. Au cours de la soirée, Sonam me fait découvrir le vin de riz. cela ressemble un peu au vin nouveau. Il m'explique les gestes traditionnels qui sont faits quand on commence à boire le vin de riz.

Après une bonne nuit bien fraîche, nous reprenons le chemin en direction de Thame. En partant, nous traversons la cour de l'école où est dressé un buste de Sir Hillary. Les enfants ne sont pas encore là, seuls les pensionnaires sont présents. Les autres arriveront pour 9h. Ils viennent à pieds des villages voisins. certains ont une à deux heures de marche avant d'arriver. Il y a dix niveaux de classe, mais tous n'iront pas jusqu'au bout. Beaucoup comme le petit ouvrier du lodge s'arrêteront avant pour travailler. Cela a été le cas de Sonam qui a dû quitter l'école à 14 ans pour aider sa mère à élever sa soeur et son frère, son père étant mort en montagne alors qu'il avait sept ans. Au cours du trajet vers Thame, nous visiterons une petite école primaire de village. C'est très rudimentaire, des bancs et des tables en simples planches, pas de chauffage.

Nous commençons par descendre pour remonter peu à peu. A midi, nous nous arrêtons à Thamo pour manger dans un lodge. Après le repas, nous allons visiter un monastère de nones. Elles sont venues s'intaller là en 1959, venant du Tibet et fuyant l'invasion chinoise. Quand nous arrivons, elles sont en prière dans un petit temple très rudimentaire. Une none nous accueille et nous fait visiter. A l'issue, elle nous offre le thé de bienvenue: le fameux thé au beurre de yack salé! Ouf! Je trempe juste mes lèvres par politesse mais ne finis pas la tasse. Sonam non plus, d'ailleurs! Elles sont en train de construire un très beau temple (Bomba). Nous visitons le chantier. Ce n'est pas encore terminé, mais déjà magnifique.

Nous reprenons le chemin au pas de sénateur avec ses montées et ses descentes. Après une journée de cinq heures de marche et quelques croisements de convois de boeufs ou de yacks venant du Tibet, quelques aperçus de peintures ou de gravures sur les rochers, nous atteignons Thame. Nous sommes à la même altitude que Khumjung, mais il y fait plus froid, des vents descendent des glaciers qui dominent le village. Le lodge où nous arrêtons appartient à un guide Sherpa qui est inscrit au livre des records: il a gravi dix neuf fois le mont Everest. Il est en photo partout et le livre des records traîne dans la salle. Après nous être installés dans la chambre, Sonam m'entraîne faire le tour du village. Nous visitons l'école, sans chauffage, et une maison typique Sherpa.

Avant la tombée de la nuit, nous nous réfugions dans la salle commune du lodge où d'autres trekkeurs se réchauffent autour du poêle au "shit de yack". Dehors, la fumée est rabattue par la brume et son odeur âcre prend à la gorge. Dans la salle, il commence à faire bon. Il y a là des espagnols que je croiserai à plusieurs reprises sur le tour, un guide de Chamonix qui depuis dix ans organise chaque année un trekk dans la région. Il a dû quitter son groupe pour aller chercher des secours car lors du passage du Chola Pass, un de ses compagnons a dérapé sur la glace et s'est fait une double fracture à la jambe. Il a descendu comme il a pu le blessé sur Thangnak, puis il a repassé la Chola Pass pour rejoindre "l'hôpital" de Pheriche et demander une évacuation. En fait "d'hôpital", ce n'est qu'un dispensaire où il n'y avait personne. Comme il n'arrivait pas à joindre par téléphone les secours, il est descendu jusqu'à Namche en une journée. Maintenant il remonte tranquillement pour rejoindre son groupe.

La nuit a été froide mais bonne. A matin, le temps est redevenu clair et limpide comme chaque matin. Nous avons eu beaucoup de chance durant ce trekk: un temps superbe tout le temps. Aujourd'hui encore, je vais pouvoir marcher une bonne partie de la journée en simple tee-shirt, je mettrai la polaire dans l'après-midi. Au village suivant, nous apercevons un campement de tibétains avec leurs yacks. Jusqu'à Marulung, la montée est progressive et mon pas de sénateur convient: un pas j'inspire, un pas je souffle, un pas j'inspire, un pas je souffle.

A partir de Marulung (4210m) la montée devient plus sérieuse, le chemin plus diffus et seulement signalé par des caerns de place en place. Il y a de moins en moins de monde maintenant. Nous sommes d'ailleurs presque tout seuls sur ce tronçon, nous rencontrons seulement quelques porteurs de temps en temps. Après une journée de six heures de marche et un lunch en cours de route, nous arrivons enfin à Langden. Il n'y a que trois lodges dans ce hameau.

Le lodge où nous nous arrêtons est tenu par une tante de Sonam. Il avait réservé la meilleure cabine avec wc, mais en arrivant elle est occupée par des allemands. Bien que je lui dise de laisser faire, Sonam rouspète et obtient la chambre voulue. Le lodge est tout petit, la salle commune très petite. On s'y entasse au coucher du soleil pour essayer de garder un peu de chaleur puis on va se coucher. Comme la nuit est noire à partir de 18h, à 19H30 - 20h tout le monde se couche.

Là, la nuit commence sérieusement à être froide. Le wc est une simple extension extérieure en tôle de la chambre qui n'est pas isolée. Les wc dans les lodges sont souvent de simples WC à la turc sans chasse d'eau. Un bidon rempli d'eau est à disposition avec un pichet plastique ou une boîte de conserve. Dans certains lodges, ce n'est qu'un plancher percé avec un tas de feuilles mortes et une pelle. Sonam a toujours choisi les lodges avec des wc de première catégorie. Dans le cas présent, il fait si froid la nuit qu'au petit matin, il faut casser la glace dans le bidon pour puiser de l'eau. Au réveil, il fait si froid que la toilette se réduit au brossage des dents. Ce matin, je ne me rase pas.

Comme on commence a sentir le froid, je mets les sous-vêtements chauds, le pantalon de trekking chaud, la polaire et la doudoune. Nous partons de bonne heure car nous avons une grosse journée, le soleil ne nous chauffe pas encore et l'on supporte les vêtements. Nous croisons des perdix des montagnes. Ces oiseaux sont considérés comme sacrés par les Sherpa, il ne faut pas les tuer sinon il arrivera malheur au chasseur. Quand le soleil arrive, on commence à sentir ses effets. Au bord d'un lac, nous quittons doudoune et pantalon chaud pour nous alléger. A midi nous pique-niquons rapidement sans traîner car il ne fait pas chaud et nous avons encore du chemin à faire. La montagne est belle mais désertique, c'est grandiose. Nous passons près d'un lac où la plage de sable fin fait penser à la mer.... très froide.

Nous avons repris notre pas de sénateur et peu à peu nous grimpons. De plus en plus, je sens l'effet de l'altitude, le souffle commence à me manquer. Je ralentis le pas et dans le dernier tronçon, je raccourcis mes pas. Au début, je fais un pas j'inspire, un pas je souffle. Maintenant, mon pas se réduit à la longueur d'un pied: un pied j'inspire, un pied je souffle. Il ne faut pas briser le rythme car à plus de 5000m on le sent tout de suite. Dans les dernières dizaines de mètres qui précèdent le Renjo Pass, nous nous trouvons dans la neige et la glace, çà glisse et l'on manque parfois d'équilibre. De plus, ce passage se tranforme parfois en escalier avec des marches de 10 à 50 cm! Epuisant! Un pas, je monte mon pied, un pas je m'élève et je souffle, un pas je monte le pied, un pas je m'élève et je souffle. Ne pas casser le rythme, mais un rythme bien lent pour laisser au corps le temps de l'assimiler. Quand on a de la pente à gravir cela permet de se reposer un peu: un demi-pied j'inspire, un demi-pied je souffle. Si on perd le rythme, on arrête car on étouffe. Il faut reprendre tranquillement son souffle et on repart. Un demi-pied j'inspire, un demi-pied je souffle.... J'apprécie les bâtons, ils m'aident à monter, à maintenir l'équilibre. Je n'en avais jamais utilisé auparavant, mais au cours du trekk j'en ai découvert l'utilité. Un demi-pied j'inspire, un demi-pied je souffle. Nous ne sommes pas seuls, il y a des porteurs qui passent dont un a le mal des montagnes. Sonam lui donne à boire, car il faut beaucoup boire. Il y a aussi des allemands: deux femmes et un homme. Comme moi, ils peinent. J'apprendrai plus tard que l'une des deux femmes avait le mal des montagnes. Il faut savoir qu'à 5000m le sang ne se charge plus qu'à 80% d'oxygène au lieu de 98% et qu'à cette altitude l'air a 50% d'oxygène en moins qu'au niveau de la mer.

Finalement, après six heures de montée, nous atteignons le Renjo Pass: 5345m, mon record! Nous découvrons alors la vue splendide sur la chaîne de l'Everest avec le lac Gokyo à nos pieds. La vue est telle que l'effort valait la peine. Le passage est comme bien souvent au Népal, truffé de foulards et de lungtas (drapeaux de prières). Après quelques prises de vues, nous entamons la redescente côté Gokyo. La pente est enneigée elle-aussi, il faut donc faire attention, mais l'effort n'est pas important et ne demande pas autant d'oxygène qu'à la montée. La redescente ne demandera que deux heures, nous ne redescendrons qu'à 4800m. J'accuse quand même la fatigue de la montée et à deux reprises je trébuche et tombe sans gravité.

Arrivé à Gokyo, nous allons au lodge donnant directement sur le lac. Il est encore tenu par une tante de Sonam. Comme à chaque arrivée dans un lodge, je prend un pot d'un litre de thé que je m'enfile en me reposant. Le soir, comme d'habitude, je prends ma "garlic soup" pour commencer mon repas. Je suis content, ma journée s'est bien passée et j'ai pu sans encombre si ce n'est le souffle, monter à 5345m. Je suis heureux. Sonam a prévu de monter demain matin à 3h30 au Gokyo Ri pour assister au lever du soleil. Je lui dit que je voudrais souffler un peu. On reporte donc cela au lendemain. Bien nous en a pris car le temps sera couvert le lendemain et dégagé le jour suivant.

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