Dimanche 20 novembre, constatant que je n'ai rien de prévu durant la semaine à venir et que la météo est plutôt favorable, je décide de partir le lendemain finir enfin mon chemin. Le soir, comme par hasard, une dent me taquine. Comme mon dentiste n'est pas disponible le lundi, je décide de partir quand même et on verra sur le chemin. Je prépare donc mon sac et mes affaires. Clothilde m'annonce alors sa venue le dimanche suivant, il faut donc que je sois arrivé pour fin d'après-midi, cela devrait aller d'après mon planning.
Lundi, le train de 8h26 m'amène à Chambéry pour 13h. Après remplissage des gourdes à la gare, je prends le chemin du lac du Bourget. C'est une rue toute droite qui me sors de la vile, puis je rejoins une tranquille piste cyclable qui longe une petite rivière jusqu'au lac et la ville du Bourget. Là je longe les quais du port de plaisance et prends une petite route qui grimpe jusqu'à Bourdeau. Après le chateau, il est 17h50, c'est là que commence un chemin qui longe le lac. Mon GPS m'indique 7.5km pour l'abbaye de Hautecombe. Je me dis qu'en deux heures cela devrait être fait et que la bonne gourde d'eau qui me reste devrait suffir, je boirai en arrivant. Cependant, à l'entrée du chemin, une pancarte m'indique 3h25 pour l'abbaye. Je suis surpris et dubitatif, ayant souvent vu des balisages qui donnaient des temps élevés que je faisais en beaucoup moins de temps. Cela m'inquiète un peu quand même, mais je démarre. Au bout d'une demie-heure, j'ai compris! le chemin est très difficile très accidenté, il faut parfois presque faire de l'escalade et des passages sont équipés de cables pour se tenir. Ma moyenne tombe très vite. Vers 18h45, j'appelle l'Abbaye pour leur demande de m'accueillir et les prévenir que je n'y serai que dans deux heures environ. Là, c'est avec une grande surprise qu'ils m'annoncent qu'ils n'accueillent pas les pélerins, que je dois aller voir ailleurs!.... Presque à mi-chemin entre le Bourget et l'abbaye, je ne veux pas revenir en arrière pour chercher un gîte, je ne suis même pas sûr d'en trouver un. J'insiste donc fortement en leur demandant de faire une exception, disant que c'est la première fois en plus de 3800km qu'une communauté religieuse me rejette ainsi, que je suis un véritable pélerin et que je ne demande qu'un matelas, un abri et un peu à manger pour le soir. Dans les environs de l'abbaye il n'y a rien, le premier village est à une dizaine de kilomètres, je ne pourrai donc pas trouver d'abri. Mais ils restent campés sur leurs positions. Je leur dis que je viendrai quand même taper à leur porte. Pour une communauté qui prêche l'accueil de l'étranger, la charité, je trouve leur attitude plutôt contradictoire.
Comme ils sont sous la juridiction de l'archevêque de Chambéry que je connais, j'appelle l'archevéché et tombe sur une secrétaire qui m'annonce que Mgr Ballot est en déplacement. Quand je lui explique mon problème, très surprise elle me demande mon numéro de téléphone et me dit qu'elle va voir ce qu'elle peut faire. Je reprends mon chemin à la lampe électrique car la nuit est maintenant bien noire. Parfois, le chemin s'améliore, mais dans l'ensemble j'avance doucement. Une heure plus tard, à une demie-heure de l'arrivée, j'ai un appel de l'abbaye qui me demande si j'ai trouvé une solution et si je compte toujours sur eux. Je leur réponds que je n'ai pas d'autre solution et que je serai là dans une demie-heure. Elle m'annonce alors qu'ils m'accueilleront et m'indique ce qu'il faut que je fasse en arrivant. Soulagé, je poursuis mon chemin en remerciant au fond de moi le Ciel et surtout la secrétaire qui a dû intervenir. A 20h15, je suis accueilli par un frère qui me conduit dans une chambre dans un pavillon voisin de l'abbaye. Je suis le seul occupant de ce pavillon. L'équipement est très sommaire, mais cela me suffit, je serai au chaud et non dehors, je pourrai faire lessive et douche. Il m'apporte un peu plus tard un plateau avec de quoi me sustenter largement. Après les ablutions et le casse-croûte je me couche fatigué de cette première journée, le chemin fait en réalité 10 km, est vraiment difficile et je l'ai fait en 3h. Pensant ne marcher que deux heures, je n'avais qu'une gourde d'eau de 0.7l, j'étais donc en manque pendant ce chemin, j'aurais dû consommer 1.5l. Avant de me coucher je bois près d'un litre pour compenser, mais ce n'est pas suffisant et au cours de la nuit, je suis brutalement réveillé par plusieurs crampes aux molets et aux cuisses. J'arrive péniblement à les étirer et les calmer et je m'empresse de reboire plus d'un demi-litre d'eau. Le reste de la nuit se passe tranquillement.
Après une nuit tout de même reposante, je me lève à 8h00 pour rejoindre le frère à 8h30. Il me conduit au réfectoire de la communauté où je peux prendre un petit déjeuner, en silence car aujourd'hui c'est jour de désert donc de silence. Le réfectoire est de style XIX°, les voutes sont peintes en faux décors, fausses moulures. A 9h, c'est l'office des laudes, je rejoins la chapelle un quart d'heure avant pour un temps de recueillement. Splendide édifice construit par le roi de Piémont-Sardaigne, la chapelle est très richement décorée avec force sculptures, moulures, vitraux. Elle mérite une visite. Je n'en ai pas le loisir car l'abbaye est fermée le mardi. L'office des laudes me donne quand même la possibilité d'en avoir un bel aperçu. Le site internet de l'abbaye mérite un détour car c'est splendide et difficilement descriptible:
http://www.visites-interactives.eu/fr/visite-abbaye/ A l'issue de l'office, je prends congé du frère, récupère mes affaires dans la chambre et reprends mon chemin. Mon GPS m'indique un sentier le long du lac, mais au bout d'un quart d'heure de recherche infructueuse, je rejoins la petite route un peu plus haut. Le temps est magnifique, les couleurs chaudes alors que le fond de l'air est frais. La vue sur le lac est reposante et paisible. La route est quasiment déserte, seule deux voitures passeront durant mon passage. Je marche d'un bon pas et en milieu de matinée je quitte le sweet polaire pour continuer en petit tee-shirt. Je me sens bien, le coeur léger. Au bout de quelques kilomètres je m'éloigne du bord du lac pour passer à travers les monts et redescendre dans la vallée du Rhône. A Chanaz, un joli petit village bien agencé en villégiature au bord du canal de Savières joignant le lac du Bourget au Rhône, je m'achète un casse-croûte et traverse le canal. Une table et des sièges au soleil, devant un restaurant fermé, au bord du Rhône, m'incitent à faire ma pause casse-croûte. Je reprends ensuite un chemin qui longe le fleuve jusqu'au pont de Culoz. Après la traversée, une petite route suit le canal jusqu'à l'usine hydro-électrique, là je traverse le canal et suis la digue sur plusieurs interminables, monotones mais tranquilles kilomètres. Ma dent qui me chatouille depuis dimanche soir m'a bien gêné pour manger mon sandwich, chaque fois qu'une miette se met entre les dents, la douleur me fait sursauter. A Seyssel, j'irai voir un dentiste.
Au bout de la digue, en arrivant au barrage, un couple dans une voiture rouge me croise. Je n'y prête pas attention bien qu'ils me dévisagent et continue mon chemin. Peu avant de traverser le Fier, je trouve un panneau d'information sur les chemins de St Jacques de Compostelle et je constate que je suis sur le chemin qui vient de Genève. Depuis le Bourget, le long du lac, j'ai vu des balisages avec la coquille, mais ce chemin n'est pas indiqué sur la carte, ce doit être une variante. Pendant que je regarde le panneau, je suis interpellé par les passagers de la voiture rouge qui me demandent si je suis le chemin, je leur réponds que je fais le retour mais à ma façon. Ils se présentent: Jean et Claude son épouse. Ils ont fait le chemin aller, l'an passé. Nous bavardons un moment. Avant de nous quitter je lui demande s'il y a un gîte à Seyssel, il me répond qu'il y en a bien un dans la montagne mais qu'à Seyssel il y a une personne, Christine H, qui fait de l'accueil jacquaire. Il m'en donne le nom et l'adresse mais pas le numéro de téléphone car il ne l'a pas. Il rajoute que si elle peut m'accueillir je serai très bien reçu. Il me propose de m'emmener, mais comme il me reste 4km, je tiens à les faire. Je reprends donc la route et arrive à 18h à Seyssel. Le cabinet dentaire est tout de suite là et c'est la première chose que je visite. Le dentiste diagnostique un début d'abcés et me le soigne que je ne sois plus embêté. En sortant, la secrétaire très gentiment me donne le numéro de téléphone de Christine et m'envoie vers une amie dans le bar voisin pour me donner les coordonnées du gîte au cas où car l'unique hôtel de la ville est fermé. Je passe le Rhône, et de la pharmacie où j'achète les antobiotiques prescrits par le dentiste, j'appelle Christine. Elle peut m'accueillir et habite à 500m! Je les couvre rapidement et Christine m'accueille très gentiment et m'installe dans une des chambres qui lui sert pour l'accueil des pélerins.
Christine est infirmière libérale très portée sur les médecines douces et attirée par l'accueil de l'autre. C'est entre autre pour cela qu'elle pratique l'accueil Jacquaire depuis quelques années. Elle a fait le chemin par étapes jusqu'à Roncevaux et envisage de faire le reste d'une traite. Après la douche et les soins habituels, je la rejoins, et pendant qu'elle prépare un bon repas et que sa machine tourne pour laver mon linge, nous bavardons. Le repas est excellent et copieux et les échanges chaleureux et profonds. Jean avait vu juste, l'accueil est remarquable et dans l'esprit du chemin. Cela fait du bien car depuis que j'ai quitté les chemins traditionnels, les accueils sont plutôt hôteliers et ce n'est pas la même relation.
Le lendemain mercredi, après une bonne nuit de récupération, je descends déjeuner et découvre un peu mieux l'environnement de la maison. C'est une maison du XVI°siècle appelé les Capucins car cela a été pendant longtemps une maison religieuse. Christine l'a bien restaurée, c'est magnifique. Compte tenu de la taille de la maison il y a quelques locataires dont le fils de Christine. Elle domine la ville donnant une vue splendide sur celle-ci et le Rhône qui coule aux pieds du coteau. Après le petit-déjeuner, je reprends la route avec dans mon sac un bon casse-croûte très gentiment préparé par Christine. La route est belle et s'éloigne du Rhône en montant sur le coteau parmi les vignes et les prés. Il fait très beau mais frais au départ (4°C), mais la température monte peu à peu vers 8 à 10°C. La route sinue jusqu'à Chatillon en Chimaille, elle est peu fréquentée et les voitures roulent souvent vite. Je marche donc bien sur le bas côté gauche en surveillant leur approche. Bien m'en prend car si toutes les voitures se détournent ou ralentissent, l'une d'elle continue sa route sans broncher, fonçant sur moi. Je l'évite en faisant une passe de corrida mais mon sac est heurté par le rétroviseur. La voiture s'arrête et recule jusqu'à ma hauteur; c'est une jeune femme complètement bouleversée, charmante par ailleurs, qui en larmes me présente ses excuses, elle ne m'avait pas vu. Je la rassure et la calme afin qu'elle puisse repartir paisiblement. Fort de cette expérience, je suis d'autant plus vigilant. J'arrive ainsi sans autre aventure à Chatillon. Compte tenu des difficultés de logement les jours précédents, je téléphone à l'hôtel de St Germain de Joux pour savoir s'ils peuvent m'accueillir. Ils sont malheureusement fermés pour travaux jusqu'à dimanche... Pas de chance! La mairie m'indique le plus proche hôtel, c'est dans la zone commerciale de Bellegarde, à l'opposé de St Germain. Elle me donne aussi les horaires de bus qui demain matin pourront me conduire de Bellegarde à St Germain, rattrappant ainsi mon écart. Un petit hôtel style Formule 1 loue des chambres et petits studios pour le même prix. je retiens cette formule et file au Carrefour voisin pour faire quelques emplêtes pour les repas et déjeuners suivants. Avant de me coucher, j'étudie les itinéraires possibles pour rejoindre Lavans les St Claude. Un itinéraire par la montagne m'attire, mais j'aurai au moins cinq heures sans possibilité de faire du ravitaillement en eau car je ne croiserai aucun village ou ferme. J'opte finalement pour la petite route de montagne qui relie St Germain à St Claude en passant par Belleydoux. Je l'avais faite dans l'autre sens il y a vingt ans! Cela réveil des souvenirs! Après une nuit réparatrice, je me lève à 4h30 pour rejoindre l'arrêt de bus qui est à un kilomètre devant un lycée. Comme ce n'est pas indiqué, je tourne un peu en rond et doit demander à trois automobilistes pour enfin trouver. Le bus de 6h me dépose alors à 6h25 à St Germain de Joux. Il fait très froid et j'apprécie blouson, gants, chêche et chapeau. A la lampe frontale j'entame la montée par une petite route déserte. Les bruits du torrent, des oiseaux de nuit et de mes bâtons sont mes seuls compagnons dans la nuit noire. Un peu de brume donne une allure mystérieuse au paysage qui se dégage quand le jour se lève peu à peu vers 7h30 et j'arrive vers 8h30 à Belleydoux, dans les nuages. Après le plein d'eau je me dirige vers le col à trois kilomètres. Peu après la sortie du village j'émerge des nuages et me retrouve dans une belle campagne ensoleillée dont les prairies brillent des mille feux des gouttes de rosée. Sur le plateau, je croise avec plaisir la borne de changement de département. Me voilà enfin dans le Jura, enfin en Franche-Comté! Je commence à me sentir chez moi, je sens l'écurie!
Jusqu'à St Claude les rayons du soleil réchauffent l'atmosphère et les couleurs du paysage. La route est belle, les montagnes bien dégagées. Peu avant St Claude un chemin à flanc de montagne me conduit dans un vallon au-dessus de St Claude. Vallon appelé le Marais comprenant un petit hameau niché au pied de falaises et de bosquets créant un décor douillet et chaleureux. La redescente sur St Claude se fait dans l'ombre et le froid. Je m'arrête un moment pour remettre blouson, chêche, bonnet et gants que j'avais quittés en fin de matinée. N'ayant pas d'autre chemin, je suis la nationale sur les neuf kilomètres qui me séparent de Lavans. J'ai réservé une chambre dans un petit hôtel face à la gare. Construit à flanc de coteau, les chambres donnent sur l'arrière, sur le vallon, et sont aux étages inférieurs. Le patron m'accueille très gentiment et m'installe avant d'aller me préparer un bon repas bien copieux. Depuis deux jours j'ai de nouveau deux belles ampoules au pied gauche et mon talon me chagrine de nouveau. Je ne sais pas pourquoi alors que j'ai changé de semelles et que je fais les soins habituels. Après les soins je plonge dans les bras de Morphée sans demander mon reste.